Appartement – 3, rue des Frères Oukid
Square Port Said
Sur les bords du square Port Saïd, lieu populaire à la frontière de la Casbah, nous pénétrons dans un grand immeuble Haussmanien entre le Théâtre national d’Alger et le front de mer. À l’intérieur, un ascenseur ancien nous hisse jusqu’au quatrième étage où « La Baignoire Expérience » a une large vue sur la baie d’Alger. C’est un espace-concept hybride, à l’intersection entre la volonté de partage des fruits d’une entreprise et le soutien aux jeunes artistes. Dans ce grand appartement colonial où les employés sont entourés de peintures et œuvres en tous genres, nous rencontrons Samir Toumi, chef d’entreprise et fondateur – en collaboration avec son équipe – de « La Baignoire Expérience ».
Un concept-espace de partage entre entreprenariat humaniste et art contemporain
Samir Toumi considère que l’entreprise n’est pas seulement faite pour l’enrichissement de ses employés mais aussi pour être libre de concevoir et créer des projets en cohérence avec ses valeurs. C’est donc progressivement que le concept de La Baignoire a pris forme, en aidant financièrement des acteurs culturels, en faisant de l’acquisition d’œuvres pour aider les jeunes artistes contemporains à se lancer et en acquérant des livres par précommandes. La Baignoire se situe dans les locaux d’une entreprise de consulting en ressources humaines, un bel espace partagé de 500 m2.
« Dans cette boîte, on a toujours accueilli des gens, des journalistes, des écrivains qui viennent travailler chez nous. La Baignoire est un concept d’économie du partage. C’est une décision collective prise par l’ensemble des salariés : on partage une partie de nos gains. » explique Samir Toumi.
La Baignoire aide les artistes d’Alger en leur proposant d’exposer dans ses locaux, en les finançant selon leurs besoins afin de créer leurs œuvres et travailler, sans contrepartie exigée dans la vente des oeuvres produites. « Ce qu’on finance, ce sont des artistes qui nous intéressent et à qui on va donner une visibilité. Je les choisis au coup de cœur ou si j’ai l’impression qu’il y a quelque chose qui m’intéresse et que j’ai envie de voir émerger. », nous confie Samir Toumi. Des expositions sont organisées, comme Picturie Générale, montée en 2014, qui a présenté des artistes tels que Walid Bouchouchi, Mehdi Djelil ou encore Maya Ben Chikh El Fegoun. La Baignoire est maintenant devenue un lieu incontournable du monde de l’art contemporain à Alger.
La seconde mission de La Baignoire est de tenter une expérience de partage singulière. Une entreprise est souvent un lieu fermé et confidentiel. Ici, le temps d’une exposition, l’espace devient public alors même que les employés y travaillent. Les visiteurs entrent et sortent. Cela donne des interactions très fructueuses et des chaînes de solidarité bénévoles se créent.
A tous moments, La Baignoire vise la gratuité, se tient à distance de toute transaction financière. Il n’y a ni logo, ni contrepartie. Ce n’est, selon Samir Toumi, « ni du sponsoring, ni du mécénat »mais un tout autre modèle de partage.
Lien-lieu social
Au fil de la discussion, nous réalisons que La Baignoire n’est pas seulement au service des artistes, c’est un bénéfice humain pour les employés et l’occasion d’une transformation de certaines règles de l’entreprise. Les employés n’ont pas de bureau, chaque pièce pouvant être utilisée par des gens de passage et pour des ateliers (un groupe de jeunes autour de la littérature, un tournage pour une bloggeuse de mode…). L’entreprise semble imprégnée d’une atmosphère différente : « Au début, les gens qui venaient en entretien ici disaient : quel calme, quelle sérénité… L’art dans l’entreprise apaise les gens. C’est aussi extrêmement valorisant pour ceux qui travaillent ici. Cela a créé des rencontres. », nous dit Samir Toumi.
La Baignoire est située dans l’un des lieux les plus populaires d’Alger, à l’entrée de la Casbah. « L’idée est aussi de réhabiliter un quartier magnifique et une architecture qui date de 1871. » explique Samir Toumi. En ouvrant l’appartement aux expositions, les algérois peuvent redécouvrir les appartements coloniaux. L’exposition est ouverte à tous mais c’est grâce à sa présence dans un quartier populaire qu’elle peut réellement bénéficier à des visiteurs de toutes les classes sociales, de 600 à 800 personnes par exposition. « On veut démontrer que l’on peut faire cohabiter des étudiants, des ambassadeurs, des ménagères… cela se passe extrêmement bien » nous confie Samir Toumi. L’entrepreneur est lui même habité par un lien très fort à la beauté de la ville d’Alger qu’il cherche à partager à travers son espace mais aussi ses productions personnelles. Celui-ci a en effet écrit le roman « Alger, le cri » il y a trois ans et travaille actuellement sur un second roman.
Selon lui, les transformations sociétales du monde arabe – avec le Maghreb – sont très proches. Ces sociétés, qui sont en train de s’inventer et dont on ignore le futur, sont en train de créer une synthèse de diverses influences et laissent sur la touche ceux qui simplifient les choses, les occidentalistes et les extrémistes. « Les systèmes sont dépassés, ça va trop vite pour eux. On ne sait pas ce que ça donnera demain. On ne sait pas qui seront les leaders, ce que seront ces 60% de femmes universitaires, ce qui se passera quand elles auront plus de pouvoir. Le piège, c’est la simplification. » La Baignoire s’inscrit dans cette dynamique, ce n’est pas une imitation mais une synthèse, la construction de modèles entreprenarial et culturel nouveaux issus de diverses influences.
Pas juste un rêve, une réalité ! Merci.