« Ismael Laemsi ? Ah bon ? Vous avez réussi à le rencontrer, on ne le voit pas souvent dans le coin ».
Telle est la réaction de la plupart de ceux à qui nous évoquons notre rencontre avec l’insaisissable vidéaste et auteur; qui aime brouiller les pistes avec « son nom de famille virtuel » en verlan.
Alors que nous sommes assis sur la terrasse du café de l’hôtel international avec Malek Gnaoui, nous serons rejoints par Ismaël et partagerons avec l’un des fondateurs du collectif Politiques, une conversation pleine d’entrain et d’enthousiasme.
Un multidisciplinaire
Après une formation littéraire à Toulouse, Ismaël revient à Tunis avec la volonté de se dédier au septième art. Passionné par le cinéma autant que par l’écriture, Ismaël publie alors un livre sur le cinéma tunisien, dans lequel il développe l’idée que ce dernier n’existe pas.
« Ce que je veux dire par là, ce n’est pas qu’il n’y a pas de cinéma en Tunisie mais bien que le cinéma tunisien n’existe pas, c’est là que réside la différence ».
La Tunisie a longtemps été une terre d’accueil des films internationaux comme Stars Wars, le Pirate de Polanski et j’en passe. Cette ouverture coïncidait avec des années de grande diffusion et de consommation de cinéma et les cinéastes tunisiens étaient souvent primés a Cannes. Cette dynamique s’est essoufflée aujourd’hui mais il ne tient qu’aux jeunes de s’en emparer et se la réapproprier.
Et d’ajouter : « Malgré les apparences, mon parti pris est très optimiste. Les jeunes d’aujourd’hui sont face à une page blanche qu’il ne tient qu’à eux de noircir, en écrivant leur propre histoire. C’est une liberté que leur offre l’Histoire », explique-t-il.
Voulant se faire lui-même acteur de cette ouverture artistique, Ismaël réalisera au total six courts métrages et un long métrage. L’un d’entre eux, Babylon, est d’ailleurs primé au Festival International de Cinéma FIDMarseille en 2012.
Babylone est le fruit d’une collaboration avec Alae Eddine Slim et Youssef Chabbi et naît de la volonté de s’intéresser aux problématiques des réfugiés.
Sur un territoire vierge en pleine nature, des populations arrivent. Rapidement, une ville se construit de nulle part. Peuplée de plusieurs nationalités, ses habitants parlent des langues différentes. Cette nouvelle Babylone entourée d’arbres et d’animaux, prend rapidement la forme d’une cité à la fois ordinaire et singulière…
Babylone cristallise cette langue incomprise, qui naît du contact entre plusieurs réfugiés dans un village hybride. Ismaël se confie à nous sur la question « La problématique des réfugiés résonnait en moi avec beaucoup d’intensité. Je me suis beaucoup intéressé à la vanité des frontières. »
Et d’ajouter « On crée des noms pour se dédouaner des atrocités commises envers les réfugiés. Comme ils sont sans statut, l’ONU a du créer le terme « informal settlement ». Cela crée le paradoxe de mettre un nom sur l’innommable et l’inacceptable, ce qui échappe a toute classification légale.
De cinéma et d’art contemporain
Outre le cinéma et l’écriture, Ismael s’intéresse aussi à d’autres supports comme la photo et la vidéo, qu’il aura l’occasion d’approfondir lors de son passage à Trankat Residency à Tetouan au Maroc ou encore à la cité internationale des arts de Paris.
Son contact avec les autres disciplines artistiques tunisiennes, nourrissent la volonté de se regrouper en collectif. À ce sujet il déclare :
« je crois beaucoup au groupe, aux amitiés, aux affinités, qui dépassent l’art en lui-même ».
C’est donc avec Malek Gnaoui, Atef Maatallah et Fakhri Laghzal que se fonde Politiques – سياسيّات – Politics. Né d’une simple rencontre de café, le collectif veut pouvoir présenter des œuvres sans attendre des commissaires et s’inscrire dans une démarche active au sein des mutations que vit la société tunisienne.
« Formé en 2012, les collectif n’existe pas en tant que tel mais se fait par les rencontres et les collaborations ».
Cependant, Ismail s’interdit d’évoquer le nom de structure lorsqu’il parle de ce collectif. Pour lui, il s’agit d’une structure psychique, ouverte et en phase avec la réalité actuelle des collaborations artistiques.
« Politique naît justement d’un rejet des structures officielles. L’objectif est qu’on puisse s’organiser d’une autre manière ».
La philosophie de Politiques
À cet égard, le nom du collectif n’est pas le fruit du hasard. L’idée centrale est en effet que « la politique ne se résume pas à l’aspect partisan. À l’origine, la politique vient tout simplement de la « polis », la ville et évoque l’inscription dans la réalité et l’action ».
Selon lui, on s’arrête trop souvent à la figure de l’homme politique en en omettant les autres dimensions.
Pour Ismael, « l’art est politique, pas en exprimant des idées politiques mais par son expression même, qui incarne la remise en cause esthétique d’une réalité. »
Les artistes de Politiques ne sont justement pas partisans. Mais « la déconstruction de l’image » qu’ils proposent, tout en étant très abstraite, est par sa forme même, très politique.