18 septembre 2015
17h – Centre Ville – Casablanca
Après une escale à Rabat pour la nuit, nous rejoignons Casablanca à la mi-journée. C’est à la sortie de la gare Casa-Voyageurs que nous avons rendez-vous avec le photographe Zakaria Ait Wakrim pour notre première rencontre de la journée. Avec Omar Souleyman en fond sonore, nous parcourons en voiture les rues saturées de Casablanca sous un soleil aveuglant.
Casablanca, c’est la ville où les contrastes peuplent les rues et les klaxons font presque partie du paysage musical. En sillonnant les rues de la capitale économique, on en ressent son caractère industriel, bétonné, impersonnel. « Casa », comme on l’appelle, C’est la ville américaine du Maroc; celle où l’on va pour accomplir son « rêve casablancais », pétri d’une réussite indexée sur le montant du porte monnaie.
Casablanca est une ville hybride, où les restaurants huppés de la corniche côtoient les bidonvilles du phare ou de Sidi Moumen. À Casablanca, contrairement au reste du Maroc, les contrastes n’existent pas à l’échelle des quartiers, mais chaque district est à lui seul une terre de disparités.
Une fois cette idée en tête, plus rien ne nous étonne, pas même la prison Oukacha en face du lycée Massignon ou encore les bidonvilles voisins de la pharaonique mosquée Hassan II.
Tout en confirmant notre regard sur la ville par ses commentaires, Zakaria nous précise cependant que Casablanca est une ville dotée d’une aura particulière. C’est aussi une ville rebelle, à la grandeur oppressante et à l’esprit insoumis. Quelle que soit l’origine des personnes qui y vivent, le moule casablancais est très vite adopté par ses habitants. On se sent fier d’en revêtir les couleurs et d’en revendiquer l’appartenance. « Etre casawi »; « weld casa », c’est presque une identité en soi ; celle-ci étant, sans doute, justement cimentée par les contrastes de cette mosaïque sociale et ethnico-régionale du Maroc.
Des slogans publicitaires en darija à l’exaltation des supporters des équipes de foot, la désinvolture de la jeunesse casawi se ressent partout.
« Les subsahariens sont particulièrement bien intégrés ici » nous confie Zakaria. Ils ont leurs propres boites dansantes, qui attirent maintenant bon nombre de marocains appréciant se laisser bercer par les rythmes sénégalais et leur danse effrénée. Ailleurs au Maroc, on ne peut pas en dire autant. Si Casablanca a cette particularité d’absorber la différence et de s’en nourrir, à Tanger, nous avions senti la détresse des subsahariens et leur difficulté à se faire respecter des locaux.
Du quartier des roches noires au stade COC, notre visite en voiture sera ponctuée d’arrêts à la Sqala et à l’hôtel Bellerive, où nous ferons l’interview de Zakaria, face à une mer bordée de sable blanc et des vagues qui crépitent de lumière.
Une fois l’interview terminé, nous rejoignons le stade COC pour rencontrer les artistes et organisateurs de L’Boulvard, festival annuel qui existe depuis 1999, et a accompagné le développement de la culture urbaine au Maroc et dans les pays voisins. Le positionnement du festival est effectivement de créer davantage d’axes de synergies musicales Sud/Sud ; Est/Ouest qui viendraient s’ajouter aux traditionnelles collaborations Nord/Sud facilitées par la présence d’institutions et de relais bien établis.
« Il y avait un besoin, il n’y avait pas de scène, pas de culture, du son live. Le paysage musical restait éclaté en petits concerts qui s’organisaient ici et là, mais rien ne permettait de les fédérer et de les accompagner »
Pour ses organisateurs, Momo Merhari et Hicham Bahou, le festival ne peut être réduit à l’évènement qui fait vibrer Casablanca pendant quelques jours. Il s’agit d’une vraie pépinière pour les artistes qui se préparent toute l’année, participent à des tremplins puis se recomposent ensuite au fil des années en recherchant une identité musicale. C’est justement le cas de N3erdistan, dont nous retrouvons le chanteur Walid Benslim ce jour-là. Walid nous explique qu’il est lui-même issu d’un groupe qui avait joué au festival il y a quelques années avant de trouver sa voie ailleurs.
A l’image du festival, Casa est une ville en éternelle ré-émergence, on n’a jamais fini de la découvrir et de la redécouvrir. En foulant l’herbe grasse du stade COC pour les premiers concerts du tremplin ce jour-là, l’ambiance est au rendez-vous. On se croirait au Glastonbury version marocaine, une inspiration rock, hippie, décontractée et mélomane souffle sur la ville, bercée par une musique retentissante. L’entrée gratuite au concert permet aussi de faire profiter tout le monde de la nouvelle scène artistique et de garder l’identité populaire à laquelle tiennent ses organisateurs. Bordée par les petits stands du souk, la scène, qui vibre aujourd’hui par la musique, a aussi accompagné le cirque Colo Kolo et la peinture murale réalisée avec le collectif Sbagha Bagha.
A la fois industrielle et vivante, grise et colorée, belle et rebelle, Casablanca est un océan de possibles par rapport au petit cercle culturel de la Kasbah tangéroise. Nous nous couchons aujourd’hui avec le sentiment d’avoir entraperçu la scène culturelle du poumon économique du royaume et avec l’envie irrépressible d’en voir plus.