Après Oran et Tlemcen, nous prolongeons nos visites de belles villes littorales avec Mostaganem avant de rejoindre Alger. C’est dans son atelier au coeur de la ville que nous rencontrons alors Yasser Ameur, plus connu sous le nom de l’homme jaune.
Les débuts
D’origine de Tipaza, la famille de Yasser s’est installée à Mostaganem quand il avait six mois. Après son bac, Yasser était prêt à faire tout sauf de l’art car il voyait le parcours du combattant de son père pour réussir à percer dans le milieu. Mais son destin l’a vite rattrapé. Après s’être essayé à la biologie, au design puis au design de l’environnement, Yasser a fini par céder au besoin irrépressible de peindre qui l’habite depuis son plus jeune âge. Il rejoint les beaux arts. Ayant grandi dans un environnement artistique, Yasser a eu les pinceaux de son père entre les mains dès ses six ans et après avoir fini ses études et enchaîné quelques petits boulots ; il décide de se consacrer exclusivement à la peinture.
Enfant, Yasser aimait s’amuser avec les crayons et les tubes de gouache de son père. Une large palette de couleur s’offrait à lui pour ses créations et toutes les nuances s’y côtoyaient, à l’exception du jaune, qui lui était interdit. Frondeur et impertinent, Yasser s’est alors mis en quête de l’élever au rang de symbole. Ce jaune citron, presque fluorescent, s’invite alors dans une série de peintures et finit même par devenir un personnage à part entière, désigné exclusivement par sa couleur : l’homme Jaune.
Depuis, le jeune homme a fait du chemin, il a été exposé à la biennale d’art contemporain il y a deux ans à Oran puis au complexe artistique et culturel à Tipaza, à Dar Abdeltif et enfin à Paris. Yasser reste néanmoins très attaché à la rue, c’est sa principale manière de s’exprimer et de partager avec le plus grand nombre. Il refuse d’ailleurs d’être aspiré par le tourbillon algérois et tient à son havre de paix à Mostaganem.
« La rue proposait une visibilité qu’aucun endroit ne détient », nous confie Yasser, qui s’est baladé, pinceaux en main, à Oran, Tlemcen, Mostaganem, Tamanrasset, Alger, Tipaza et Tindouf.
La symbolique de l’homme jaune
L’homme jaune s’esclaffe d’un rire de la même couleur (de7ka sefra en arabe), il arbore toujours un sourire plus ou moins discret sur les peintures de Yasser. L’expression renvoie en effet au sourire hypocrite, surfait, faux et donc au jeu social qui fait oublier la contestation dans le mimétisme. Dans certaines expositions, Yasser insère la phrase « 7na houma ntouma » (Nous sommes vous en arabe). Elle suscite un questionnement et pousse les spectateurs à interroger la distance qu’ils mettent avec les personnages encadrés. Ce qui intéresse Yasser, c’est de dévoiler la laideur intérieure dans toute sa splendeur. Ses personnages sont confortablement allongés dans la graisse, ils ont les yeux fuyants et dissimulent de leur masse un pactole de pétrole et d’hypocrisie.
Yasser nous explique que son univers se subdivise en deux types de toiles, il y a la fantasmagorie de l’homme jaune aux messages ouvertement politiques et un deuxième type de toiles, plus personnel et thérapeutique. Ce délire artistique qui nourrit le personnage de l’homme jaune est plus sombre, torturé et reflète des scènes du théâtre social. Mais, petit à petit, les spectateurs s’habituent à la provocation de Yasser et il ose aussi dévoiler certaines de ses œuvres plus personnelles. A mesure que notre conversation se poursuit, nos yeux se posent en effet sur les toiles exposées derrière le jeune homme, on lui en demande alors les titres.
Zaouja saliha, 3erss fi ourida, le siffleur de bouteilles, les musiciens du café maure, le caïd d’un vendredi ; en présentant des figures sociales archétypales, les toiles de Yasser font réfléchir les individus sur le rôle qu’ils jouent dans la société.
Mais au-delà de ce thème de la laideur, Yasser travaille aussi sur les détournements, avec le même objectif de questionnement interne. Il y a la joconde algérienne, la celèbre photo de Marilyn version Hayek, ou encore le radeau de la méduse des herraga. Yasser nous parle aussi du déjeuner sur l’herbe, en réponse à des plaques crées par le voisinage des parcs avec la mention « mamnou3 moumarassat al roumansia » (Le romantisme est interdit en arabe). On y voit un couple allongé sur l’herbe et le logo inflammable.
Interrogé sur l’engagement que dévoilent ses toiles ; Yasser nous répond par ces paroles :
« L’engagement ne consiste pas uniquement à traiter des sujets politiques. Je ne cherche pas un changement politique mais un changement social. Ce dont on a besoin, c’est un changement dans les consciences qui puissent ensuite bâtir la relève politique dans la génération qui se construit actuellement. »
Pour Yasser, les artistes doivent « être des meneurs parmi les autres et ne pas se plaindre de l’absence du public, le conquérir ».
Un artiviste
Tout en restant basé à Mostaganem, Yasser aime voyager un peu partout en Algérie et a un fort attrait pour le sud en particulier. Il a notamment été à Ain salah, où il a animé un atelier avec des enfants.
« Avec la chute des prix du pétrole, l’Algérie s’est trouvée contrainte d’exploiter le gaz de schiste. Or, cette exploitation pollue la nappe d’eau phréatique. Ce problème a entraîné une révolte mais les autorités ont continué leur exploitation tout en feignant d’avoir arrêté. »
Ces positions politiques qui révoltent Yasser l’ont poussé à arpenter le sud et à parcourir l’Algérie jusque Tamanrasset. Son expérience au sud le mènera aussi sur les sentiers de Raconte Art, un festival à Tiziouzou, qui a regroupé 300 artistes de toutes disciplines : conteurs, écrivains, peintres, etc.
Il en ressort grandi et garde en tête le souvenir d’un village autogéré du nom d’Agoussim qui l’a beaucoup fait réfléchir sur le politique et sa violence inutile.
Sur les caricatures de Yasser, Sellal côtoie Saadani, au grand dam de l’article de la constitution qui interdit les caricatures de politiciens sous peine d’amende et de prison.
Pour Yasser, il n’y a pas en Algérie de problème direct avec la liberté d’expression mais le problème se pose plus sur l’exposition et l’accès à l’information. Il n’y a pas eu de changement politique en Algérie car la population n’est pas encore prête. « Les médias ont joué un rôle important là-dedans », selon lui.
« La société du spectacle qui se monte aujourd’hui est nourrie par l’horreur qui se passe ailleurs pour se rassurer. Il y a une gradation de l’horreur, on a besoin d’images, de toujours plus. »
Et de conclure : « Si on veut un changement, on doit le travailler ».
Des arts visuels à la musique à texte
Vous l’aurez compris, Yasser n’a pas sa langue dans sa poche. Son expérience dans la peinture se transforme aussi en notes de musique et paroles engagées, qu’il chantonne, guitare sous le bras. Interdites de radio, c’est encore une fois dans la rue que Yasser trouvera un exutoire pour ses chansons, lui permettant de s’exprimer librement.
Quand les rassemblements ont été interdits, Yasser a à nouveau dû faire preuve de créativité pour contourner la police, se transformant en supporter de foot le temps de leur passage.
« Mes accords sont simples, ce qui m’importe le plus c’est le contenu », déclare Yasser avant de nous dédicacer l’une d’entre elles.
Pour Yasser, le raï est également une vraie source d’inspiration car, selon lui, « Le peu d’émancipation qu’on a est un héritage de la chanson raï . Cette musique a permis aux gens de parler de sujets brûlants de manière détournée et elle est aujourd’hui remise en valeur après avoir été dénigrée. »
De la peinture, au street art en passant par la musique, tous les moyens sont bons pour que Yasser Ameur délivre son message : se constituer acteur du changement social au lieu d’en rester le spectateur hypocrite.
Merci Hajar et Mehdi pour ce magnifique reportage !
Article intéressant d’un personnage qui avance sur les pas de Guy Debord à l’algérienne !
Merci aux reporteurs et bonne continuation à l’artiste.
Bonjour, belle découverte pour moi hier à Nantes, dans ce grand marché de l’art contemporain où s’étalent des œuvres qui souvent privilégient le clinquant, les apparences aux émotions. J ‘ai enfin ressenti quelque chose de fort, de signifiant … dur de mettre des mots! Merci à l’Homme Jaune.
[…] notamment de certains des artistes émergeants que nous avons rencontré sur notre parcours, comme Yasser Ameur et Faress […]