Youssef Ouchra, définitivement contemporain

Youssef Ouchra fait partie de ces artistes dont la réflexion témoigne des préoccupations de l’homme moderne et son mode de vie dénaturé. Chaque pièce est ainsi le fruit d’un bon degré de maturité réflexive qui, en mêlant son et image, agite le spectre de la condition moderne.

Youssef jongle entre les différentes disciplines pour toujours questionner les maux d’une société où la pression médiatique, l’omniprésence de la violence et le quadrillage spacio-temporaire règnent.

La performance, une tentative spirituelle

Un cheminement presque mystique l’a conduit vers cette discipline qui constitue une vraie charnière dans sa vie d’artiste.

C’est en fusionnant les différents médiums pour créer des œuvres atmosphériques que Youssef entreprend la performance qui se nourrit aussi bien d’univers visuels que sonores pour reproduire une nouvelle énergie scénique. De représentation en représentation, la pièce ne meurt pas. Elle connaît une trajectoire sans cesse revivifiée, elle renait pour transmettre l’énergie qu’on lui a donné. Au contact direct du public, elle s’inspire de sa poigne et s’étend grâce aux nouvelles interactions pour se modifier au gré des contextes et des circonstances.

Pour Youssef, rien ne remplace ce moment de vie. Cet instant où son travail prend tout sons sens dans un espace-temps partagé. Il cherche à intégrer le spectateur dans son œuvre et en constate les réactions.

« Les gens créent la dynamique de la performance », nous dit Youssef. En livrant son ressenti, verbalement ou via des expressions faciales, l’ensemble des présents confirme son adhésion à l’action et sa constatation du résultat auxquelles invite la performance. Cela est d’autant plus primordial pour l’artiste que le cheminement de sa pensée tend vers l’affirmation que corps, esprit et pensée se réunissent à ce moment précis pour apprécier la création artistique.

Véritable cogitant, Youssef se délecte de la torture de l’esprit pour laisser son sens philosophique guider ses expérimentations artistiques.

Youssef Ouchra © Mehdi Drissi

Youssef Ouchra © Mehdi Drissi

Le PLPAC, une expérience péremptoire 

Le passage à la performance, chez Youssef, s’est fait aussi grâce aux rencontres. Il garde un souvenir indélébile de sa participation au PLPAC. Cette « proposition pour un laboratoire des pratiques artistiques et curatoriales » a été élaborée en 2012 par les artistes Younes Baba-Ali et Simohamed Fettaka, et présentée à l’Institut Français de Rabat.

Véritable carrefour artistique, Youssef s’y est distingué par son audace. Il y présenta « Moul-I-Next », une performance de pressage identitaire pour en soustraire un jus citoyen. Une création scénographique qui ne se déroula pas tout à fait comme prévu.

Dénonçant le détraquage des individus, Youssef – ou le citoyen BJ 32 7009 – rassemble ses éléments administratifs qui prouvent son existence et le fichent sous des matricules.

« Dans la structure sociale, nous ne sommes dotés d’aucune individualité. Nous ne sommes qu’une série de chiffres amputée de tout esprit ou de toute sensibilité émotionnelle. », nous fait remarquer Youssef en nous relatant son anecdote du PLPAC.

Alors qu’il venait de lancer le broyage dans un mixeur, de cartes qui le réduisaient à des signes à un liquide rougeâtre et à de la viande, la machine se renversa par terre.

Avènement imprévu, sa réaction sur le vif et la bousculade timide mais spontanée du public pour empêcher le cocktail de se verser, a fini par donner une autre dimension à la performance.

Youssef Ouchra © Mehdi Drissi

Youssef Ouchra © Mehdi Drissi

A la recherche du brut

« Ce qui m’intéresse pour mon travail, c’est l’homme brut, vierge de toute identité ». A partir de ce point de départ, Youssef s’interroge sur le rapport à la machine, à la société, ou aux médias que pourrait avoir un descendant direct de mère-nature. Ce néo-Sisyphe est façonné par un système verrouillé et bureaucratique, assommé par un flux d’informations diarrhéique et gavé d’une consommation mécanique. Prenant conscience de cette situation que l’on subit en société, l’artiste-performeur la dévoile à l’état brut pour créer une prise de conscience collective.

Ainsi, le corps de Youssef lui sert aussi de plateforme. Il accueille sa performance, pose pour le cadre et se fige pour permettre un procédé d’identification. Ce corps-médium, souffrant d’altérations diverses, est à l’image du monde actuel, dans le grand besoin d’une cure sanitaire. Suite à la récurrence de ses crises d’asthmes et de foie, Youssef recourt à la médecine chinoise qui lui a apporté le bon remède à ses infirmités organiques. Ses séances d’acupuncture l’ont ainsi amené à penser « Paix-Cure » ; une performance d’une heure, retracée par une vidéo et capturé dans un quadruple où l’on découvre le corps de Youssef piqué par 200 aiguilles.

© Youssef Ouchra

© Youssef Ouchra

Allongé sur une planche, Youssef est immobile. Il ressent chacun de ses points d’énergie où chaque aiguille est venue se planter comme sur un territoire conquis. Sur 1m84 de sol corporel, s’avoisineront les 197 pays de la terre qui verront leurs drapeaux hissés sur une seule masse frigorifiée. Tout au long de la progression de ces piqûres, Youssef pera petit à petit la chaleur de son corps pour atteindre sa purification.

Des trois dernières aiguilles se dégagera une fumée odorante. Ce sont des moxas, des armoises séchées et broyées pour ce cérémonial de guérison. En appréciant les bienfaits, Youssef souhaite reproduire la performance pour, cette fois, tirer une photographie en grand format.

Les projets de Youssef ne s’arrêtent pas là. Outre sa participation à une exposition collective organisée à Constantine qui célèbre cette année sa consécration en tant que capitale de la culture arabe, Youssef prépare son installation « Ma Taaboudoun » pour une exposition à Londres.

Une citation du poète sufi Mansur Al Hallaj est gravée sur un baril cylindrique de couleur noire. La lecture du vers nécessite ainsi la rotation sur ce récipient destiné à contenir de l’or bleu. En calligraphie arabe, Youssef reprend :

« Vous et ce que vous priez, prêtez sous mes pieds allégeance »

L’objet qui revêt une sacralité métaphorique est présenté par la Gallerie Venise Cadre à la 1:54 Contemporary African Art Fair qui se tiendra du 15 au 18 octobre 2015.

© Youssef Ouchra

© Youssef Ouchra

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