Dans le quartier Khaireddine, Omar Bey s’est aménagé un atelier de travail dans un ancien palais transformé en résidence. Discret, ses voisins ignorent tout des projets et des créations monumentales que Omar réalise derrière sa grande porte en bois massif. Sans toquer, nous poussons ce portail pour découvrir un univers révolté et sensationnel.
L’aube de la création
À partir du seuil, la première vue d’ensemble sur le long couloir qui nous accueille, annonce la couleur particulière de la rencontre. Des installations murales guident notre passage vers le salon.
Une fois tous installés, Omar nous explique comment être plasticien lui semble être une évidence. Toujours attiré par l’idée graphique et l’esthétique artistique, il s’intéresse au cinéma après un parcours aux beaux-arts de Tunis.
Ce passage par les coulisses du 7e art a stimulé chez lui un fort désir de construction des pièces. Gérer la décoration des plateaux lui a en effet insufflé une dynamique de fabrique et de modelage d’objets. Depuis, son crédo est « tout est possible » et son école celle du « touche à tout ». Le travail d’Omar mêle des matériaux très divers. Du polyester au métal en passant par le bois, les mosaïques ou encore la faïence, tous les ingrédients sont bons pour créer un monde tout en contrastes.
L’atelier de travail d’Omar est d’ailleurs à l’image de son imagination débordante. Beaucoup de matériaux potentiels jonchaient le sol où occupaient les étagères en attendant de se voir incorporer dans de nouvelles créations.
Telle est la quête d’Omar dans son abandon de la recherche de l’objet à incorporer, faire de ses récupérations hasardeuses des composantes d’une œuvre monumentale.
Les lendemains du printemps
Décrites comme engagées, Omar nous confirme que ces nouvelles œuvres ne sont pas plus critiques qu’auparavant. « Pour mon travail, la révolution n’a rien changé », nous surprend Omar avant d’expliciter ses propos « le gouvernement ne s’intéressait pas à ce que l’on faisait et ne se mêlait donc pas de nos affaires. On créait déjà nos propres conditions de production et d’exposition ». Pour le plasticien, la chape de plomb qui s’est brisée a avant tout jeté un coup de projecteur sur la Tunisie, lumière qui a accru la motivation de la jeune de génération.
Dans sa recherche de la subtilité, Omar a toujours travaillé dans les nuances et a évité la frontalité qu’il juge non intéressante.
Pris de passion pour les grands volumes, ses installations ne passent pas inaperçues. Tant pour leur forme que pour leur fond, les œuvres de Omar Bey sont le fruit d’une réflexion et relatent parfois une histoire dont les clefs de la lecture sont délivrées par les titres. Leur choix révèle le véritable souci de l’artiste d’être dans un rapport intelligible avec le public. Ces dénominations mûries en cours de construction de la pièce la décrivent pour instaurer une communication avec ceux qui la reçoivent. Et Omar d’ajouter :
« Pour moi, les arts plastiques sont d’abord un mode d’expression favorable à l’échange. Je ne m’adresse pas seulement à une petite élite et tiens à interroger avec finesse un large public ».
Il nous confie d’ailleurs être actuellement en manque de nouvelles interventions dans l’espace public. Après quelques occasions de collaborations artistiques à l’extérieur, Omar continue à croire dure comme fer que la place de l’art est à la rue, encore faut-il aujourd’hui qu’une volonté politique aille dans le même sens.
La continuité
Ses techniques mixtes l’amènent aussi à explorer des chantiers inusuels. Sa fameuse sculpture du buste de Kadhafi avait d’ailleurs surpris plus d’un. L’exposition « Le poids de faire » qui s’est tenue juste après la révolution exhibait le portrait de l’auteur cruel du livre vert. Entièrement réalisée à partir de viande porcine, l’installation portait bien son nom « portrait d’un salop ».
Nos yeux baladeurs croisent aussi dans l’atelier, une installation en cours de réalisation. Inspiré par la vie de « Sidi Omar Fayach », Omar travaille sur une œuvre fidèle au caractère délirant du saint.
Pour la réaliser, Omar a rassemblé les dizaines de tubes de chicha abandonnés par les cafés du quartier, récupérés deux ans avant. En les rassemblant, le méli-mélo de tiges crée une impression de mouvement brutal.
Ce saint qui a vécu au début du siècle précédant, était considéré comme un illuminé qu’on sortait, telle une bête, nu et enchainé. La créature qu’on imagine agitée sous les chaines en métal d’Omar Bey puise dans le vécu du mystique mystérieux pour interroger notre rapport contemporain à la fécondité.
Omar Bey poursuit des projets toujours aussi intrigants et prépare actuellement une future exposition au printemps à Dubai.